Entretien avec Jean MÜLLER, directeur du design YEMA (1975-1982) [#4]

YEMA Evolution du Logo par Jean Muller
9 min de lecture

La YEMA Yachtingraf Régate ? C’est lui qui l’a dessinée. Le chrono YEMA Rallye Sous Marine ? c’est lui qui l’a dessiné. Les YEMA Navygraf I et YEMA Navygraf II ? C’est lui qui les a dessinées… Vous n’êtes pas au bout de vos surprises. Bonne lecture !

Jerry

Si vous avez manqué le début, les trois publications précédentes de l’entretien avec Jean Müller se trouvent ici [#1] [#2] [#3]

Jean MULLER_Directeur du design YEMA de 1974 a 1982
Jean MÜLLER. Directeur du design YEMA de 1974 à 1982

Échange du 28 août au 2 septembre 2019
LE DESIGN DES MONTRES AU CŒUR DES COLLECTIONS

 

Cher Monsieur.
 
Quel plaisir, presque enfantin, de découvrir vos réponses. C’est Noël à chaque fois ! 
 
Comme je vous l’ai annoncé, je vous propose maintenant une promenade balisée dans les collections en vous soumettant des images de brochures promotionnelles, ou des photos de modèles plus spécifiques. 
 
Commençons par deux extraits d’une brochure présentant la collection de 1977. Cette brochure ne peut que faire briller les yeux des amateurs des montres YEMA tant elle contient de modèles devenus emblématiques des plus belles années de la marque.

EXTRAIT 1. LES CHRONOGRAPHES YEMA

Ce premier extrait me permet d’aborder avec vous le sujet des chronographes qui ont largement contribué à la renommée de YEMA. 

YEMA_Brochure collection 1977_01
Collection Yema 1977 – Brochure publicitaire 

LA LIGNE YEMA Y10

Cette première page présente tout d’abord deux chronos de la collection Y10 (en haut et deuxième en bas à partir de la gauche) aux boitiers chromés. Ils sont manifestement équipés du Valjoux 7765. Leur design anguleux est particulièrement original. Vous souvenez-vous de votre source d’inspiration ? D’où vient cette appellation « Y10 » ? Vous souvenez vous de ce qui a inspiré l’étonnante typographie évidée (pas très lisible si vous me permettez cette remarque désobligeante) de cette signature ?  Il y a également eu une collection « Y11 ». Je suppose que le Y fait référence à Yema, mais à quoi correspondent le « 10 » et le « 11 » ?
 
J’avais dessiné ce chrono rectangulaire, à l’époque il paraissait épais, aujourd’hui il serait dans la norme… Je souhaitais que la deuxième partie du cadran (extérieure) soit fixée par des vis réelles, mais par économie les vis sont factices et frappées sur le cadran
Je ne me souviens plus de l’origine du Y10 et ensuite Y11, sans doute le désir de numéroter les modèles par ordre chronologique… j’avais dessiné ces lettressquelette pour qu’elles ne soient pas trop massives… j’avais déjà fait pire avec la marque YEMA striée en long !
 

J’avais entouré d’un cercle le fameux Y emblématique ! Plus tard j’ai redessiné la lettre Y … je crois que j’étais alors inspiré par le nouveau lettrage A du sigle automobile AUTOBIANCHI. Cette modification du sigle montre que j’avais acquis la confiance de HL Belmont ! C’était gonflé de ma part de modifier son Y emblématique …

LA SERIE DES BOITIERS ACIERS 003.6

Les 3 autres chronos Flygraf, Yachtingraf, Sous marine Rallye présents sur cette même page sont parmi les plus recherchés des collectionneurs. Ils partagent le même superbe boitier en acier qui reste, avec ses arêtes biseautées, une exception YEMA. Aviez-vous conscience de dessiner un boitier hors du commun à l’époque ? Vous souvenez du fournisseur qui le produisait ?
 
Je ne crois pas avoir dessiné un boîtier exceptionnel ! Il est sans doute bien équilibré mais n’apporte rien de nouveau.
 
Arrêtons-nous un instant sur la Yachtingraf. Le cadran à guichet fait la renommée de cette montre non seulement chez les amateurs de YEMA mais aussi chez les collectionneurs de chrono de régate…
 
Autre exemple du travail que j’effectuais : rajeunissement d’un modèle existant (certainement dessiné par Daniel Jacquinot). J’avais modifié le boîtier, cornes plus solides et plus longues, protection de remontoir, remontoir plus gros, lunette tournante plus riche en acier (et non plus en alu) avec un crantage “capsule de coca” moins agressif pour les manches de chemises, modification de la lecture des départs avec des ouvertures dans le cadran et un disque qui remplaçait l’aiguille, minuteries plus lisibles… 
 
Une remarque en passant : j’avais entouré d’un cercle le fameux Y emblématique ! Plus tard J’ai redessiné la lettre Y … je crois que j’étais alors inspiré par le nouveau lettrage A du sigle automobile AUTOBIANCHI. Cette modification du sigle montre que j’avais acquis la confiance de HL Belmont ! C’était gonflé de ma part de modifier son Y emblématique …

Ensuite la Flygraf

L’insert en laiton appliqué sur son cadran est la caractéristique la plus marquante de ce chrono. Il fait basculer la composition habituelle des cadrans des montres équipées de Valjoux 7750. On passe d’une « verticale gauche » une peu déséquilibrée formée par les 3 sous compteurs à une lecture en 4 points parfaitement équilibrée. Je ne connais pas d’équivalent. Pouvez-vous me dire comment était teint cet insert en laiton ? Il y a par ailleurs eu des versions de cadran avec le petit avion au-dessus de l’axe des aiguilles et d’autres en dessous. Vous en souvenez-vous ?
 
Je me souviens des difficultés que j’avais eues pour faire réaliser cette deuxième plaque cadran, très fine, rivée sur le cadran de base. Les finitions du cadran et de cette plaque étaient réalisées indépendamment l’une de l’autre, ce qui me laissait toute latitude pour le travail du métal et l’oxydation de couleur.
En revanche je ne me souviens pas des raisons qui ont pu faire modifier l’emplacement du petit avion…

EXTRAIT 2. LES PLONGEUSES YEMA « GRANDES PROFONDEURS »

Les montres de plongée produites par YEMA dans les années 70/80 font l’objet de bien des convoitises de la part des amateurs. Bon nombre d’entre eux aimerait pouvoir aligner sur une table les 3 montres de l’extrait ci-dessous !

YEMA_Brochure collection 1977_05
Collection Yema 1977 – Brochure publicitaire 

Commençons par la gauche, avec la Navygraf II

J’ai une affection particulière pour cette montre de plongée extrêmement originale, dont il y a eu plusieurs versions. Deux points m’intéressent particulièrement : d’abord le très ingénieux et unique système de blocage de la lunette avec la tige transversale. Ce système s’est-il avéré fiable ? 
 
Oui, le système de blocage de la lunette a été long à mettre au point. Il faut se souvenir que les centres d’usinage n’existaient pas, l’usinage se faisait par tournage ou fraisage (et perçage) avec une précision quelquefois assez aléatoire … mais le système était fiable, bien que quelquefois il fallait exercer une pression assez forte sur le poussoir pour débloquer la lunette.
 
Pour illustrer le second point, voici une photo présentant, de gauche à droite, 3 versions de la Navyfgraf II. La première avec les vis plates à tête fendue (le cadran, noir à l’origine est bien patiné par le soleil !), la seconde avec les vis à tête creuse à 6 pans avec un cadran noir, la troisième avec le logo Y moderne que vous avez dessiné. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur ces plaques et vis ? Comment vous est-venue l’idée ? 

YEMA Navygraf II
YEMA Navygraf II – 3 générations – Crédit Jerry

Je n’aimais pas du tout le mode de fixation des lunettes tournantes utilisé par toute la production horlogère. Vous savez certainement qu’il s’agissait d’un fil d’acier avec un ergot… simplissime mais peu résistant à l’arrachement, et souvent avec un raclement désagréable à la rotation.
J’ai donc souhaité une fixation inarrachable d’où mes plaquettes fixées par vis. Je n’ai jamais été totalement satisfait de la rotation de la lunette après de multiples essais de cliquets anti-retours à lamelle ou à poussoir bille ou de joints téflon.
Les vis à tête fendue des premières séries correspondaient aux lignes d’autres modèles, j’ai préféré ensuite monter des 6 pans creux seulement par choix visuel.
 
Par ailleurs vous souvenez-vous d’un problème de centrage des marquages sur la lunette ? Sur la photo, il y a assez nette différence entre celle de gauche (chiffres plus épais, rayon moins précis les chiffres se rapprochent progressivement du bord) et celle de droite (chiffres plus fins, raison précis)

Je ne me souviens pas du problème de centrage des graduations de lunette … sans doute une série défectueuse qu’il a fallu utiliser pour ne pas retarder des livraisons. Je devais quelquefois accepter l’inacceptable ! 
 
Et voici pour terminer une photo de la génération suivante. Vous avez remplacé les plaques de maintien de la lunette par des griffes latérales… 

YEMA Navygraf Quartz R40436
YEMA Navygraf Quartz R40436 – Crédit Jerry

Cette version était très différente de la précédente, je l’avais voulue adoucie, moins agressive, et le couvre-anses étant ouvert je ne pouvais plus adapter mes plaquettes. C’est certainement la raison des plaquettes de fixation latérales … à moins que ce soit aussi un choix esthétique…
Je trouve que cette montre est encore d’actualité !

La Navygraf II a-t-elle fait de l’ombre à la Superman dont elle est une concurrente directe dans la gamme ?

Je ne crois pas que cette montre s’adressait à la même clientèle que la Superman, et elle n’a sans doute pas modifié les ventres de cette célèbre montre.

J’ai aussi le souvenir d’une montre qui semble oubliée, la 1000 mètres.

YEMA 1000m_Design Jean Muller_Credit VDFA112
YEMA 1000 M – Crédit Photo Vdfa112

Je souhaitais un produit phare qui positionne définitivement YEMA comme un “grand” des produits techniques. La mise au point avait été faite en partenariat avec PRETAT (Porrentruy) Le boitier n’était pas très beau, assez galet, avec un verre très épais, et aucun organisme français n’était équipé pour la tester à une telle profondeur. C’est une société suisse spécialisée qui a réalisé un essai, à ma grande satisfaction la montre a tenu ! Je n’espérais pas une grande quantité de ventes, mais l’objectif publicitaire était atteint !

Cordialement,

Jean Muller

(A suivre…)

Lisez aussi : YEMA. Un homme, une marque. Partie II