Aujoud’hui je vous invite à lire un article écrit par Pierric Gravost, surtout lisez bien jusqu’à la fin pour découvrir l’incroyable histoire d’une Yema Superman et d’un alpiniste au destin tragique.
Batilou
1er partie : Mon histoire avec Yema
Bonjour, Je m’appelle Pierric, j’ai 52 ans. En 1988, j’en ai 16.
A l’époque et en âge d’avoir des petits jobs d’été, mon premier salaire a été utilisé pour
l’achat d’une Yema Superman II que je suis allé trouver dans une boutique sur la Canebière
marseillaise. Je me souviens l’avoir mise directement au poignet non pas par empressement
mais parce que je n’avais pas osé insister auprès du vendeur pour avoir l’écrin.
Référence en matière de montre de plongée, la Superman II sera mon choix de première
montre. Elle me suivra toujours fidèlement sans encombre jusqu’à aujourd’hui encore mais
ce n’est pas elle qui fait l’objet de notre sujet.
Me voilà donc revenir chez mes parents avec la grande fierté d’avoir allègrement estropié
ma première paie de manutentionnaire. Alors que je m’emballe à vanter les qualités de la
bête (étanchéité 300 m testée, bracelet de plongée extensible, fond et couronne vissées,
lunettes unidirectionnelle avec blocage, etc…), mon père, semblant être pris d’une idée
soudaine, sort du fond d’un de ses tiroirs, un écrin noir longiligne.
Il était siglé Yema aussi: intérieur velours rouge, contenant une montre, mais dans un tout
autre état que la mienne: bracelet arraché, verre absent, sensiblement identique à celle que
je venais d’acheter : une Superman de 1969 fond gris argenté.
La montre ne tournait plus, le bracelet grains de riz était incomplet, très logiquement.
J’appris par la suite que cette montre appartenait à un oncle défunt que je n’ai jamais
connu, Michel Gravost, frère de mon père, alpiniste émérite, qui la portait le jour de son
décès, un accident idiot, lors d’une banale sortie de week-end, mais une chute mortelle de
300 m.
Voilà donc l’une à côté de l’autre, deux montres avec la même filiation, comme deux soeurs,
l’une vierge avec une histoire à construire et l’autre qui transpire un vécu violent et
mystérieux.
Je décide de la faire fonctionner à nouveau.
Sur la place du cours Julien officiait un vieil horloger hongrois , Georges Bobik, ancien
footballeur de l’OM entre 1959 et 1960.
Je lui confie l’épave en lui demandant à quel point elle serait réparable. Il me dit qu’il ne
pourrait pas la prendre en charge immédiatement car il revenait de vacances et qu’il n’avait
pas retrouvé la motricité fine qui lui permet d’exercer son métier.
ll entasse dans son tiroir la montre sur d’autres patientes et je repars inquiet.
Deux semaines plus tard, après m’avoir raconté sa vie, il me décrit son intervention : le
mouvement était reparti immédiatement après avoir replacé une palette d’ancre qui s’était
décollée.
Cette montre, qui avait à peine tourné un an reprend vie après 18 ans de sommeil.
2eme partie : l’incroyable histoire d’une Yema superman
Pendant très longtemps, mon oncle Michel n’était pas plus qu’une simple photo dans un couloir, Comme une image de western, exceptées la casquette basculée sur la nuque et les chaussures de randonnée aux pieds, on le voyait juché sur un cheval s’abreuvant dans un maigre plan d’eau, au milieu d’un théâtre de roches, un désert de pierre perchée à plus de 3000 m d’altitude.
Je passais devant tous les jours, sans véritablement m’imaginer ce qu’avait pu être sa courte vie.
Il était étudiant ingénieur à l’université de Grenoble, un véritable passionné de montagne aussi.
Étudiant en semaine, et guide le week-end, ses amis racontent qu’il était souvent le dernier à arriver au rassemblement de départ du fait de la lourdeur de son sommeil. Cependant, il venait toujours auréolé de la joie de pouvoir commencer une nouvelle course.
Disparu à 25 ans, son seul et unique exploit répertorié aura été de réaliser l’Ascension du Kuh-e Bandaka.
Le Kuh-e Bandaka est l’un des hauts sommets de la chaîne de montagne de l’Hindu Kush auNord-Est de l’Afghanistan. il culmine aujourd’hui à 6843 m d’altitude.
En 1969 se forme une équipe d’étudiants de Grenoble Université Montagne qui décide de partir à son assaut.
L’équipe était constituée de six hommes : Gérard Duthu, Jean-Jacques Rolland, Dr Pierre Barnola, Jean-François Meffre, Michel Gravost et Michel Brissaud (dit Mike)
Le rapport de cette expédition recense aussi la liste des vivres et du matériel utilisés, ainsi que les commentaires.
Tout y est minutieusement détaillé, tantôt acheté en fonds propres , tantôt sponsorisé par les marques.
Les montres des alpinistes font partie du matériel recensé : Il semblerait que la firme Yema a fourni à chacun des membres de l’expédition une Superman, certainement six modèles identiques.
Extrait d’une publicité de l’epoque.
Le commentaire tiré du rapport d’expédition:
« Montres de plongée : «fournies par Yema International, prévues pour des pressions de 8000 m et pour les profondeurs de 300 m sous l’eau. Nous les utilisons en dessous de leur performance. Elles nous ont donné pleinement satisfaction puisqu’elles ne tarderont que de quelques minutes sur deux mois !
Les bracelets, cependant, trop fragiles ont dû être doublés par de la cordelette… »
L’expédition part de Grenoble le 29 juin 1969, à 5h du matin, avec une 403 commerciale, etun Combi Volkswagen, l’idée de partir par la route pour rejoindre l’Afghanistan.
La traversée de l’Europe est un véritable chemin de croix. Dès le départ, les avaries se multiplient, la distance et la chaleur met à l’épreuve des véhicules inadaptés aux conditions climatiques : la 403 est ralentie par ces surchauffes et le VW, trop chargé redescend les cols sans frein.
L’équipe rejoint malgré tout Kaboul le 13 juillet et se retrouve coincée une semaine pour les formalités administratives.
L’approche par la piste se termine le 23 juillet à Hadzarate Saïd, où les négociations avec le chef du village pour les porteurs et les chevaux fait perdre quatre jours supplémentaires à l’équipe.
Le 29 juillet, Lors de la marche d’approche, un des chevaux ainsi qu’une caisse sont emportés au passage d’un torrent déchaîné, on retrouvera le lendemain le cheval qui aura passé la rive, mais pas la caisse. Elle contenait les crampons et les piolets. Ils ne la retrouveront jamais. Malgré tout, la providence met sur leur chemin quatre jours plus tard une équipe d’autrichiens battant en retraite qui leur donnent les leur et permettront ainsi de continuer.
Le 6 août, les effets de l’altitude décime une partie de l’équipe: ne pouvant plus avancer,
deux membres restent au camp de base.
Dès le 8 août, ils tentent l’ascension par la voie Sud Est, voie inviolée plus courte cependant beaucoup plus abrupte.
La raréfaction des vivres et les conditions météo les acculent, ils devront atteindre le sommet le 12 août ou jamais.
Ils choisissent donc de jouer la sécurité en empruntant une voie plus clémente, mais beaucoup plus longue.
Extrait des dernières lignes du rapport d’expédition :
12 août midi :
«6750 m. Jean-Jacques, qui a fait la trace jusque-là voudrait se reposer un peu ; les nuages s’approchent dangereusement ; toute perte de temps risque de compromettre le sommet et la descente. Suivi anxieusement des yeux par Jean-Jacques et Jean François, Michel progresse seul vers le sommet.
Une calotte de glace, vive, raide et crevassée le sépare encore du sommet. Michel la contourne par la droite.
14 heures. Une corniche gigantesque qui s’avance sur l’abîme : le sommet.
La tête commence à lui faire mal, les jambes aussi. Avec le but qui se rapproche, une grande lassitude l’envahit. Mais il terminera cette course de relais.
Et ce n’est pas en vain que Mike au camp de base, Gérard et Pierre au pied de l’arrêt,
Jean-François a 6600 m et Jean-Jacques, juste en dessous de la calotte, auront fait leurs efforts »
Lorsque Michel plante le drapeau en haut du sommet, sa Superman affiche 14h10.
On peut retrouver cette histoire dans un fascicule et sur le net :
Histoire de l’alpinisme en Afghanistan (pasquer-voyages.com)
Un an plus tard, le 13 juin 1970, dans les hauteurs de Grenoble, Michel et sa compagne d’escalad, Marie-Claude Boymond 24 ans, escaladent le grand couloir du Gerbier.
L’ascension est courte, et pas trop technique, cependant, tous les deux encordés, l’un dévisse et emportera l’autre. Ils seront retrouvés morts 300m en aval.
Aujourd’hui encore, on peut voir une stelle à l’aplomb du grand couloir, en mémoire des deux alpinistes.
Je n’ai jamais eu l’idée de relever l’heure qu’affichait sa montre le jour où je l’ai récupérée.
La montre de Michel est finalement restée un demi-siècle au fond d’un tiroir, ne sachant véritablement à qui la confier.
C’est en voulant à retrouver un bracelet d’origine en bon état, que j’ai eu connaissance de Patrick, lui confier cette montre aura été l’occasion pour moi de mieux prendre conscience de son histoire, de rajouter la charge émotionnelle à la valeur sentimentale, et de me rapprocher de quelqu’un que je n’aurai jamais connu.
Je me sens reconnaissant de cet héritage, fier de mon oncle, et ravi d’avoir associé Patrick à l’histoire de cette montre.
Merci de m’avoir lu,
Pierric
Je tiens à remercier vivement Pierric pour ce fabuleux article, évidement cela fait partie de son histoire mais aussi de l’histoire de Yema ! Cette marque, dès les années 50–60 a fourni des montres aux alpinistes chevronnés comme Jacques Soubis lors de l’escalade du mont Huntington en 64, ou Lionel Terray pour l’ascension du mont Jannu en 62 mais également a beaucoup d’autres aventuriers, comme Jean Louis Etienne, comme le dit le célèbre slogan de la marque “TIME OF HEROES“ cette marque, EST LA marque des aventuriers !
Pour finir, juste quelques photos de la restauration de cette montre, j’ai eu la chance de trouver la pièce de bout chez un ami, merci Yvon, cette montre à connu des températures extrêmes, une chute dramatique, mais elle fonctionne toujours et Pierric va pouvoir en profiter de nombreuses années, toujours en gardant en mémoire les exploits de son oncle. Quant à moi j’aurais eu la chance d’avoir cette montre entre les mains et de pouvoir la restaurer.
Batilou