par R.C alias Jerry

INEDIT !

Eh oui. L’objet qui t’est présenté aujourd’hui n’a, sauf erreur, jamais fait l’objet d’un dossier aussi détaillé. Pourquoi ?

• Hypothèse 1 : il ne présente aucun intérêt (ou comment saborder d’entrée de jeu l’article que tu rédiges en expliquant à ton lecteur qu’il n’a vraiment rien à faire de sa vie s’il a autant de temps à perdre pour lire ta prose). Merci quand même d’être passé !
• Hypothèse  2 : personne n’a jamais vraiment jugé utile de s’intéresser de près à cette machine. Pas très loin de l’hypothèse 1, note bien…. Alors que si ! Cet étrange appareil que tu as souvent vu sur ton site d’enchères préféré sans oser l’acheter mérite l’intérêt. Ne serait-ce que pour les usages que je te propose en fin d’article.

Comme cela a déjà été  souligné dans le dossier consacré à l’histoire de YEMA (à lire ici si tu ne l’as pas déjà fait), l’entreprise a toujours eu le souci de soigner son réseau d’horlogers bijoutiers HBJO, dont beaucoup étaient d’anciens élèves de l’Ecole Nationale d’Horlogerie au même titre qu’Henry-Louis Belmont, son fondateur. C’est donc assez logiquement qu’elle a conçu l’offre « Service complet » à l’intention des Horlogers Bijoutier. Derrière l’objectif affiché de rendre service au professionnel, il s’agissait surtout, de toute évidence, de nourrir l’image de marque de l’entreprise afin d’encourager les détaillants à mettre en avant les produits YEMA.

Comme le précise le document présenté ci après, l’offre repose sur 4 piliers :

1. Un contrôleur d’étanchéité. C’est le contrôleur 04 A présenté ici.
2. Des boites de fournitures de pièce détachées pour l’entretien courant des montres étanches ; verres, joints, couronnes. Tu vas en voir aussi.
3. Un présentoir de vitrine réf BC5 : invitation claire à mettre la collection des montres Yema dans la vitrine. Si tu en trouves un, dis-le moi, ça m’intéresse.
4. Une garantie d’un an pour la montre achetée, étanchéité comprise. Tu a bien lu. Un an. C’est beaucoup ! Mais pas la peine de t’énerver pour obtenir la révision à l’oeil de ta vieille sous marine de 1963. Un an, c’est un an ! La garantie est expirée.

L’encadré du support de communication apporte la réassurance sur la modernité et la qualité des produits de l’entreprise. Je te connais : tu ne vas pas le lire. Alors j’insiste. Regarde bien. C’est du pur bonheur : « YEMA – l’usine la plus moderne et la mieux conditionnée du marché commun » – rien que ça mon bon Môôsieur –  « choisie comme montre officielle de l’expédition française 1962 au mont Jannu, massif de l’Himalaya, sous la direction de M. Lionel TERRAY » – chez YEMA, on envoie du lourd. Au cas où ce ne serait pas clair il est précisé : « Une distinction aussi flatteuse méritait d’être signalée« . Et toc. J’adore.

Le dit Lionel, illustre alpiniste, a filmé son ascension. Pour être franc, je n’aurais jamais trouvé ni regardé cette vidéo si ne je m’étais attelé à la rédaction de cet article. Alors tu vas faire pareil. Non mais sans blague. ça sert à quoi que je me décarcasse, sinon ?!

Plus sérieusement, cette vidéo mérite vraiment d’être regardée jusqu’au bout. Avec le recul des ans, le courage et l’endurance de ces alpinistes est encore plus flagrant. C’est par là : A la conquête de Jannu.

Comme il faut être un peu rigoureux, tu te souviendras quand même que ROLEX a fait grimper son iconique Explorer en haut de l’Everest en 1953. La marque a la couronne avait donc marqué la voie des sommets comme des partenariats sportifs prestigieux 10 ans plus tôt. Jolie source d’inspiration pour les hommes de la com’ de chez YEMA, non ?

Mais quand bien même. Au début des années soixante, l’entreprise maîtrise parfaitement toutes les ficelles du marketing moderne, tant pour séduire les clients finaux particuliers que pour convaincre les professionnels de la distribution sélective.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, voici un aperçu des fameuses boites de fournitures proposées aux détaillants. Je te l’ai promis. Je te les montre. Revêtement grainé, logo imprimé doré, couvercle des boites plastique internes portant le logo de la marque… tout est fait pour renforcer l’impression de qualité. Il en passe encore parfois sur les sites d’enchère, mais, hélas, à des prix souvent peu raisonnables.

Je sens que tu t’impatientes : tu regardes en l’air, tu souffles, tu tripotes ta montre, et, même, pire du pire, affront ultime : tu as discrètement commencé une partie de « Candy crush » !!

Il est donc temps de passer aux choses sérieuses. Elles ont commencé à la réception de… ça :

Etat : ré.pu.gnant
Je te présente le contrôleur d’étanchéité YEMA 04 A !

Un peu d’huile de coude, un peu d’ultrasons, de la patience combinée à de la prudence face à l’inconnu permettent d’obtenir un joli mécano de pièces soigneusement nettoyées.

Comme je sais que tu as du mal avec les longues dissertations, tu vas – enfin ! – pouvoir reposer un peu tes méninges endolories par l’effort de lecture, en suivant pas à pas, mais en image, le remontage de l’infernale machine.

D’abord le fond du caisson de test, avec ses deux joints.

Puis montage du tube d’arrivée d’air. Deux écrous « dessous/dessous » assurent le maintient en prenant la platine du caisson en sandwich. Le joint mis en place dans la gorge de l’orifice prévu pour laisser passer l’air assure l’étanchéité.

Etape 3 : pose du tube en plexiglas faisant office de corps principal du caisson de test.

Retournement et présentation de la partie supérieure du caisson. Les deux bras vissés vont permettre d’assurer la solidarité, la rigidité et l’étanchéité de l’ensemble.

A nouveau retourné tête en bas, le fond du caisson présente les deux écrous de serrage ainsi que l’entrée d’air du tube d’admission monté à la première étape. ça va, tu suis ?

Préparation de la buse d’alimentation d’air

Voici le caisson retourné tête en bas. La buse d’arrivée d’air est en place.

Il reste à poser les pieds du caisson. Leur tête filetée a chaque extrémité permet dans un premier temps le vissage direct dans le fond du caisson étanche.

Pour poursuivre le remontage, il est temps d’aller chercher le socle principal du testeur, équipé de 4 pieds en caoutchouc. Je sais tu n’en vois que 2. Il faut me croire sur parole…

La pompe de compression de l’air est positionnée sur le côté droit du plateau.

Présentation et pose du flexible de raccordement d’air entre la sortie de la pompe et la buse d’alimentation du caisson étanche.

Stop ! Petite pose pour te présenter un peu plus en détail un élément clef du contrôleur : le manomètre de pression. Commençons par un petit nettoyage et un polissage du verre plexi.

Il n’est pas nécessaire de tout démonter, au risque de détériorer l’axe ou le canon de l’aiguille, pour apercevoir l’élément principal du manomètre : sa « langue de belle mère » en laiton.

Sa quoi ? Sa Langue de Belle Mère ! Seconde découverte (qui n’en est peut-être pas une pour toi) de cette revue. Il s’agit du petit nom donné au sifflet favori des convives de réveillon. Je te laisse deviner le rapport avec la Belle Mère… Quoiqu’il en soit, c’est la comparaison qui m’a semblée la plus explicite pour te faire comprendre le principe de fonctionnement du manomètre…

…en complétant quand même cette première image par un croquis explicatif. Sous la pression de l’air, la langue tend à se redresser et se déforme vers l’extérieur. Un judicieux système de relais permet de faire pivoter l’axe de l’aiguille dans le sens horaire. Le système de relais compte lui même deux axes qui permettent d’assurer une traction toujours correctement alignée. C’est simple et plutôt malin. Je m’interroge quand même sur l’étalonnage et la précision de l’appareil (qui ne revient d’ailleurs pas à zéro sur le modèle présenté). Mais, comme tu le verras plus loin, en fait, on s’en moque totalement…

Poursuivons. Le manomètre est en place sur son support. Il ne reste plus qu’à fixer la buse d’alimentation d’air.

Le circuit d’air est complété par un dernier flexible reliant le caisson au manomètre.

Et voilà. Nous venons donc brillamment de réinventer la pompe à pied que tu utilises pour gonfler les pneus de ton vélo. La chambre à air est remplacée par un caisson étanche. Dois-je préciser que tu n’auras pas besoin de tes pieds ?

Le capot de fermeture étanche du caisson présente au centre un orifice permettant de faire passer le support coulissant de la montre à tester. Un joint interne assure l’étanchéité. Au premier plan, une valve de décompression qui va nous être bien utile par la suite.

Le support permet d’accrocher et de contrôler deux montres simultanément :

Et maintenant ? On essaye ?

Trouver un contrôleur avec sa notice d’emploi n’est pas fréquent. D’ailleurs le mien n’en avait pas. Mais… traînait depuis plusieurs années au fond d’un tiroir le précieux parchemin. On va pouvoir jouer ! Je te laisse 2 minutes pour lire le mode d’emploi ci-dessous. Tu noteras à nouveau la précision essentielle en bas de page : « Cet appareil est fabriqué à Besançon par YEMA, dans sa nouvelle usine de 2400 m2, la plus moderne du Marché Commun« . ça rentre ?! C’est LA plus moderne. Point. C’est quand même terrible de devoir te répéter tout le temps la même chose…

Cette notice a été publiée sous plusieurs formes, comme en atteste la reproduction suivante, trouvée sur un forum voisin.

Quoiqu’il en soit, la prudence s’impose. Je n’ai en effet aucune idée de la qualité des plastiques, des joints etc. Je laisse donc l’engin dans son plus simple appareil pour être en mesure de repérer tout point de fuite avant qu’il ne soit trop tard. Si j’ai bien compris, on va mettre un peu de pression dans le bazar…

• Etape 1 : remplir d’eau jusqu’au niveau gravé

• Etape 2 : suspendre la ou les montres tige support en eau
• Etape 3 : remettre le couvercle tige support en haut et visser fortement les deux boutons moletés, la montre reste suspendue au dessus de l’eau
• Etape 4 : pomper jusqu’à la pression désirée, lecture sur le manomètre. maximum 4kg cm2
• Etape 5 : immerger la m… STOOOP ! Je t’ai vu. Tu admirais la dernière acquisition passée à ton poignet. Elle est belle, hein…. Du coup tu as manqué les photos des étapes 2 à 4. Mais je suis sympa. Je te fais un petit arrêt sur image avant qu’il ne soit trop tard. Montre à demi immergée, pression bien stable.

C’est bon ? On peut continuer ?

Etape 6 : laisser l’air s’échapper lentement en pressant la valve. En réalité, la notion de « lentement » est toute relative, la progressivité de l’échappement de l’air étant proche de zéro. Mais c’est le résultat qui compte : pas de bulle. La montre est étanche !

Bon. Mais si la montre n’est pas étanche ? On le sait comment ? Rien de plus simple. Recommençons le test avec un autre boitier. Je te passe les étapes intermédiaires. Boitier suspendu dans le caisson, pression maximale avant immersion :

J’appuie sur la valve de décompression et… Oh ?! des bulles ! Ce boitier n’est pas étanche.

Dans la notice technique, la procédure de test que je t’ai montrée plus haut est accompagnée de 3 pages de littérature qui m’ont paru plutôt intéressantes. Je t’invite à les lire. Il est notamment précisé que le contrôleur 04 A ne convient pas au test d’étanchéité de montre de plongée de « grande profondeur » car elles « nécessitent des caissons de contrôle allant jusqu’à une pression de 20 atmosphères. » Le manomètre étant gradué jusqu’à 4 bar de pression confirme le propos. Pour t’éviter de chercher, 4 bars correspondant à 3,9 ATM, soit environ 40 mètres de profondeur. Au mieux, un montre qui passe avec le succès le test d’étanchéité avec cette machine peut envisager de passer sous la douche ou faire un longuet de piscine, mais pas au delà !

Et voilà. Encore quelque images pour le plaisir…

Chauvin ? Non. Mais fier, oui !

Pour conclure, cet appareil très sobre remplit parfaitement son office. Mais comme je t’ai promis en début article des suggestions d’usage alternatif si tu n’as que faire d’une contrôleur d’étanchéité, les voici !

Alors ? Conquis(e) ?

Allez, salut. Porte-toi bien !

J.